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Des aliments périmés réemballés, de l’huile végétale ajoutée à de l’huile d’olive, un mélange de craie et de colorant vendu comme du curcuma… La fraude alimentaire est un fléau grandissant de l’industrie agroalimentaire et représente plus que jamais un enjeu actuel qui touche tous les maillons de la chaîne, du producteur au distributeur. Au Canada, les acteurs de l’industrie agroalimentaire estiment avoir une très bonne connaissance de la définition de la fraude alimentaire mais seulement 43 % des acteurs affirment avoir plutôt ou tout à fait confiance dans leurs habilités à reconnaître un cas de fraude. Globalement, les acteurs de la chaine alimentaire se perçoivent tout de même comme assez réglementés et semblent plutôt conscients de leurs responsabilités envers le consommateur final.
Ces constats ressortent d’une étude pancanadienne inédite sur la fraude alimentaire, réalisée par le CIRANO en collaboration avec l’INAF (Université Laval) et le CRIBIQ auprès de 400 entreprises représentatives de l’industrie agroalimentaire et qui vient d’être rendue publique.
« La fraude alimentaire est un véritable enjeu pour cette industrie et notre étude permet de mieux connaitre les perceptions et les préoccupations des entreprises de la chaine agroalimentaire envers la fraude, mais aussi de documenter les pratiques utilisées par les différents acteurs en prévention et en détection de la fraude », explique Nathalie de Marcellis-Warin, coauteure de l’étude, présidente-directrice générale du CIRANO et professeure à Polytechnique Montréal.
FAITS SAILLANTS DE L’ÉTUDE
Une bonne connaissance de ce qu’est la fraude alimentaire
Il y a une très bonne connaissance de la définition de la fraude alimentaire par tous les acteurs de la chaine agroalimentaire et ce, peu importe le secteur considéré (producteurs, transformateurs, distributeurs/détaillants). « Mis à part la reproduction ou l’imitation d’une marque, d’un emballage ou d’une recette sans autorisation, les différents actes constituant des cas de fraude sont reconnus par plus de 90% des acteurs », précise Yoann Guntzburger, coauteur de l’étude et chercheur postdoctoral au CIRANO.
Une connaissance des réglementations encadrant la fraude et une confiance dans la gestion de la fraude par les gouvernements plutôt faibles
34 % des répondants affirment avoir une connaissance faible à très faible de la réglementation fédérale encadrant la fraude alimentaire. Cette proportion est encore plus élevée en ce qui concerne la législation à l’échelle des provinces : 40 % des répondants ont en effet une connaissance faible à très faible de leur règlementation provinciale. Dans le même sens, on constate, en moyenne pour l'ensemble du Canada, une moins grande confiance dans la gestion de la fraude par les gouvernements provinciaux que par le gouvernement fédéral. Fait intéressant, la connaissance des réglementations est plus faible chez les producteurs : 40 % d’entre eux affirment avoir une connaissance faible à très faible de la règlementation fédérale contre respectivement 27 % pour les transformateurs et 28 % pour les distributeurs. Les producteurs sont aussi les acteurs de la chaine agroalimentaire les plus nombreux à ne pas avoir confiance dans la gestion de la fraude alimentaire par le gouvernement.
Des acteurs de la chaîne agroalimentaire conscients de leurs responsabilités envers le consommateur final et qui se perçoivent comme assez réglementés par les gouvernements
Si en majorité chaque acteur perçoit son secteur comme assez réglementé, peu se perçoivent comme étant trop réglementés. « Les différents groupes d'acteurs ont tendance à percevoir que ce sont les autres groupes qui ne sont pas assez réglementés. De plus, lorsque qu’interrogés sur leurs responsabilités, par exemple celles de s’assurer de l’authenticité des produits reçus de leurs fournisseurs, des différences sont notables entre les différents acteurs », avance Virginie Barrère, coauteure de l’étude et associée de recherche à l’INAF. Les résultats montrent que les transformateurs sont ceux qui ont plus conscience de leurs responsabilités vis-à-vis de la prévention de la fraude au sein de la chaîne. En effet, 90 % d’entre eux estiment qu’il est de leur responsabilité de s’assurer de l’authenticité des produits vendus directement au consommateur final, 93 % de s’assurer de l’authenticité des produits reçus de leurs fournisseurs et 87 % de s’assurer de l’intégrité des pratiques de leurs sous-traitants. Ces pourcentages sont plus faibles pour les producteurs et les distributeurs. « En revanche, lorsque le client direct n’est pas le consommateur final, seulement une entreprise sur deux (peu importe l’acteur de la chaine) estime avoir la responsabilité de s’assurer de l’authenticité de ses produits, une fois ceux-ci transformés ou revendus par l’intermédiaire », nuance Yoann Guntzburger.
Même si la fraude est perçue comme plus fréquente ailleurs qu’au Canada, l’industrie agroalimentaire au Canada est consciente des conséquences qu’elle peut générer localement
« Que l’on parle du risque de fraude alimentaire en termes de quantité de produits fraudés ou de conséquences de la fraude sur la santé ou l’économie, le Canada est perçu par les acteurs de la chaine agroalimentaire comme étant plus à l’abri de la fraude que le reste du monde » souligne Ingrid Peignier, coauteure de l’étude et directrice de projets, des communications et des relations partenaires au CIRANO. Il y a toutefois une certaine conscience des conséquences de la fraude au sein de l'industrie agroalimentaire au Canada. Les entreprises canadiennes sont aussi sensibles au fait qu’elles peuvent être en cause ou victimes de fraude. Le sentiment de sécurité est toutefois hétérogène au sein de la chaine :
Les pratiques de prévention de la fraude beaucoup plus connues et utilisées que les pratiques de détection
Les entreprises agroalimentaires peuvent mettre en place des mesures de prévention de la fraude (ex : un système robuste de traçabilité des ingrédients). Parmi ces mesures, les entreprises ont la possibilité de faire appel aux méthodes analytiques de détection de fraude. Ces dernières peuvent aussi être utilisées lors de contrôles. « On constate clairement que les pratiques de prévention sont bien connues (68 % des entreprises au Canada rapportent avoir une connaissance moyenne à très élevée de celles-ci); en parallèle les pratiques de détection sont, elles, moins connues et moins mises en place alors qu’elles sont perçues comme étant efficaces » souligne Yoann Guntzburger.
« En termes de mesures de prévention, les systèmes de traçabilité de la chaine d’approvisionnement semblent être la pratique de choix retenue par les entreprises pour prévenir la fraude. En effet, 72 % des entreprises déclarent utiliser cette pratique. Cette proportion monte même à 94 % si l’on ne considère que les transformateurs », fait remarquer Ingrid Peignier. 79 % des entreprises se fient sur des relations étroites, de longue date et basées sur la confiance comme pratique de prévention de la fraude par rapport à leurs fournisseurs. Ce résultat se reflète également lorsque l’on interroge les entreprises sur leurs démarches advenant qu’elles suspectent un risque de fraude impliquant un de leurs fournisseurs : 69 % des entreprises en parlent directement avec leurs fournisseurs. En revanche, il est à noter que seulement 39 % des entreprises préviendraient les autorités fédérales ou provinciales si elles suspectaient un risque de fraude chez leur fournisseur.
« Excepté pour le système de traçabilité, le fait que les entreprises de la chaine agroalimentaire au Canada implantent certaines mesures alors qu’elles en considèrent d’autres plus efficaces nous laissent perplexes. Par exemple, l’analyse de vulnérabilité est la 3ème pratique jugée la plus efficace mais seulement 36 % des entreprises y ont recours (la 1ère jugée la plus efficace étant le système de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement et la 2ème, la mise en place de technologies de détection). La mise en place de telles mesures semble toutefois être trop coûteuse et exiger trop de temps et de ressources », souligne Samuel Godefroy, coauteur de l’étude et professeur à l’Université Laval. Bien qu’il semble y avoir une bonne confiance dans les laboratoires d’analyse, 77 % des entreprises ne font jamais ou rarement d’analyses pour détecter la fraude.
« En conclusion, les résultats de cette étude, couplées aux cas de plus en plus fréquents de fraude révélés dans les médias, mettent en lumière la nécessité de communiquer davantage sur la fraude alimentaire. D’ailleurs, cette nécessité est également plébiscitée par les acteurs de la chaine agroalimentaire eux-mêmes qui considèrent que la fraude est un enjeu qui n’est encore pas suffisamment abordé, surtout à l’externe de l’entreprise, c’est-à-dire par l’industrie agroalimentaire elle-même mais aussi par le gouvernement et par l’opinion publique » soutient Nathalie de Marcellis-Warin.
Pour plus d’information sur l’étude :
L’étude CIRANO-INAF-CRIBIQ repose sur une enquête en ligne réalisée d'octobre 2017 à avril 2018. 398 entreprises ont répondu au questionnaire qui était d’une durée moyenne de 20 minutes. L’échantillon est représentatif selon les secteurs (producteurs, transformateurs, distributeurs) et les régions (Atlantique, Québec, Ontario, Prairies et Colombie-Britannique), indépendamment.
Chercheurs associés à l’étude : Nathalie de Marcellis-Warin (Polytechnique Montréal et CIRANO), Ingrid Peignier (CIRANO), Yoann Guntzburger (CIRANO et Polytechnique Montréal), Samuel Godefroy (Université Laval et INAF), Virginie Barrere (Université Laval et INAF) et Catherine Dhont (CRIBIQ).