L'encadrement juridique de la cohabitation des cultures génétiquement modifiées, conventionnelles et biologiques
L'introduction d'organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture a soulevé des craintes, souvent appelées « perceptions négatives », relatives aux effets à long terme de leur consommation. Elle pose également le problème de la coexistence avec les autres cultures, dites non-OGM. Ces craintes sont véhiculées par une pluralité de sources, dont les médias sociaux, largement répandues dans le public. Elles obligent les agriculteurs, selon les consommateurs ciblés pour la vente de leurs récoltes, à instituer une séparation rigoureuse entre les cultures comportant des éléments génétiquement modifiés et les autres cultures (conventionnelles et biologiques notamment), de même qu'une information fiable sur la présence de produits OGM dans les intrants de l'agriculture et dans les produits de consommation. Les cultures conventionnelles, à leur tour, font l'objet de crainte du fait de l'utilisation de pratiques et de produits jugés nocifs pour la santé, dont les pesticides. On a pu constater récemment l'effet néfaste de certains pesticides sur les abeilles, qui sont pourtant essentielles à l'agriculture. Parmi les substances retrouvées dans la définition de pesticide dans la note infrapaginale, quelques effets néfastes pour la santé humaine ont pu être démontrés. Toutefois, même si une certaine prudence peut être souhaitable à l’occasion, il faut se méfier des études portant sur quelques cas, puisqu’elles ne permettent pas une conclusion probante pouvant être extrapolée à l’ensemble de la population et donner ouverture à une réglementation appropriée.
En réponse à ces craintes, l’accent a été mis sur une agriculture dite biologique, où l'on doit s'abstenir d'avoir recours à des produits et à des pratiques présentées comme néfastes. Plusieurs définitions de produits biologiques vont très loin dans les exclusions, selon des critères propres aux divers marchés cibles, reposant quelques fois sur des hypothèses ou des extrapolations douteuses à partir de données scientifiques. La promotion des produits biologiques n’échappe pas aux exagérations relevant de pratiques de « marketing », ce qui provoque des attentes élevées, voire la confusion. Les cultures biologiques posent, à l'égard des deux autres types de culture, les mêmes problèmes de séparation et d'information que ceux qui viennent d'être évoqués.
Alors que des études scientifiques confirment le danger de consommer des produits traités avec certains pesticides, aucune étude scientifique n'établit de manière probante un danger lié à la consommation de produits génétiquement modifiés (OGM) dans la mesure où le résidu d’un pesticide utilisé – on pense ici au glyphosate – ne dépasse pas les limites permises selon des études toxicologiques appropriées. Néanmoins, les craintes à l'égard des OGM persistent et se sont même amplifiées.
Le présent document fait un relevé de l'ensemble de l'encadrement juridique nécessaire pour effectuer la séparation entre les différentes cultures et pour prévenir la contamination. Cet encadrement a deux volets. Il y a d'abord un encadrement général par différentes formes de réglementation. Le document explique deux principes directeurs soutenant cette réglementation, soit ceux de la gestion des risques et de la réglementation étagée.
L'encadrement prévoit un enregistrement initial de toute semence OGM, qui peut, par la suite, être librement exploitée et mise en marché. Il y a ensuite une réglementation élaborée touchant l'information disponible pour indiquer le type de culture auquel on a affaire : OGM ou non-OGM. L'appellation biologique est rigoureusement contrôlée par un processus de certification, lequel suit le principe de la réglementation étagée : principes fixés au niveau fédéral ; mise en œuvre par des organismes privés de certification qui sont près des agriculteurs, mais demeurent sous une surveillance du gouvernement fédéral.
Un tel niveau d’encadrement rend plus complexe la coexistence. Ainsi, la certification biologique englobe un ensemble de mesures, de restrictions et de vérifications dont le but est d'assurer une séparation aussi rigoureuse que possible des produits biologiques de ceux relevant des cultures conventionnelles et OGM. L’obtention d’une telle certification fera l’objet d’une mention spécifique sur l’étiquette ; l’ennui, c’est que les mentions ne sont pas uniformes (c’est à dire ne sont pas les mêmes peu importe l’entité certifiante) et ne sont ni facilement détectables par des consommateurs, ni bien comprises d'eux. Cet état de fait peut être à l’origine de divers problèmes liés à la coexistence des produits lorsqu’il s’agit d’établir les caractéristiques et les exigences emportant une responsabilité en la matière.
À cet encadrement général, s'ajoute un encadrement des rapports entre intervenants dans les marchés des semences et des récoltes à vendre, par des règles du droit privé. Dans le milieu des agriculteurs, il existe un éventail de normes, de pratiques, de guides de conduite, dont le but est d'éviter qu'un différend au sujet d'une confusion de deux cultures ou d'une contamination ne dérape et finisse au procès devant un tribunal. Le document inventorie les règles du droit des contrats (entre parties qui ont contracté entre elles) et du droit de la responsabilité civile (entre parties n’ayant pas contracté entre elles) qui pourraient s'appliquer à de tels litiges ainsi que quelques éléments sur la propriété intellectuelle. Le survol pointe vers des éléments et des documents que les agriculteurs ont intérêt à créer et à conserver dans l'optique de pouvoir construire une preuve pour le cas où ils se trouvent poursuivis ou amenés à poursuivre quelqu’un d’autre devant une instance appropriée.
Dans la conclusion, le rapport revient sur de possibles points de tension, où une intervention gouvernementale, inspirée des deux principes de régulation évoqués, pourrait être avantageuse.
Dans le cours des « récoltes » que nous avons effectuées lors d’une veille documentaire, nous avons constaté qu’il y avait plusieurs sujets qui débordaient le cadre du présent rapport mais qui méritaient néanmoins qu’on synthétise les trouvailles afin d’alimenter une réflexion plus poussée sur certains aspects. Parmi ces sujets, il convient de mentionner l’étiquetage des produits, les multiples certifications biologiques et encore l’attitude des consommateurs. Ces problématiques permettent de relever une série d’avantages et d’inconvénients à porter à l’attention de personnes à la recherche de la voie optimale. Un résumé se trouve à l’An-7.
Les médias sociaux véhiculent des informations, provenant d’organisations tout à fait crédibles, qui laissent croire à la dangerosité des OGM. Souvent, on présente les OGM dans le même souffle que les pesticides, herbicides et fongicides, entretenant ainsi la perception de leur effet délétère pour la santé.
Deux mises en garde sont à propos :
a) Les textes législatifs et les statistiques auxquels renvoie le présent document sont en vigueur ou à jour au moment de clore la recherche, soit en janvier 2017. Pour d’autres informations sur lesquelles table la présente réflexion, il convient de rappeler que l’évolution dans ce secteur est très rapide et ne repose pas toujours, à ce qu’il nous semble, sur des bases strictement scientifiques. C’est toujours le cas dans les domaines où les assises scientifiques sont truffées de perceptions, souvent négatives, avec lesquelles il faut composer. S’ajoutent au portrait de la situation les intérêts commerciaux des parties prenantes, pour lesquels une assise sur des données scientifiques est peu souvent assurée.
b) En traitant de la coexistence des OGM avec les autres cultures, on ne peut échapper à l’influence des perceptions ou des peurs dans les propos relevés, même dans la littérature dite scientifique. Qu’il nous soit permis de citer, à titre d’exemple, dans le rapport de Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois publié en janvier 2008, les propos suivants retrouvés dans l’introduction : « Les citoyens et les consommateurs qui s’étaient tenus à l’écart des débats sur les enjeux de l’agriculture, sont entrés en scène et désormais ils expriment davantage leurs préoccupations et leurs exigences à l’égard de l’environnement et de la santé, interpellant directement l’agriculture et l’agroalimentaire ». Ces propos n’ont pas pris une ride, neuf ans plus tard.